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Comment le nouveau contrat social de Boric au Chili peut réussir

En introduisant des principes de progressivité budgétaire dans sa nouvelle constitution, le Chili peut mettre fin au cercle vicieux des inégalités.

Le président élu chilien Gabriel Boric n'a pas le choix. Celui dont l'élection est probablement l'événement politique le plus important du pays depuis le référendum de 1988 qui a rétabli la démocratie après la dictature de Pinochet a assuré que si "le Chili a été le berceau du néolibéralisme, il sera aussi sa tombe". S'il veut tenir sa promesse et négocier un nouveau contrat social, le président élu de 36 ans devra s'atteler à réformer la fiscalité.

En effet, au Chili, la fiscalité est le garant de la perpétuation des inégalités, dont la persistance a alimenté des tensions sociales proches de l'explosion ces dernières années. Ceux qui vantent les succès du modèle chilien se heurtent à des statistiques implacables. Avec les 10 % les plus riches du pays qui s'approprient près de 60 % de la richesse nationale et la moitié la plus pauvre de la population qui n'en reçoit que 10 %, c'est l'un des pays les plus inégalitaires au monde.

C'est la preuve, s'il en était besoin, que la réduction des inégalités passe non seulement par des politiques de redistribution, mais aussi par un État capable de financer des services publics de qualité – notamment de santé et d'éducation – accessibles au plus grand nombre. Ces efforts ne sont pas des dépenses à traquer au nom de l'austérité, mais plutôt des investissements indispensables à la réduction des inégalités. Dans notre pays, ce moteur est tombé en panne.

Avec des recettes fiscales de 19,3% du PIB en 2020, le Chili est loin de la moyenne de 33,5% de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le club des pays riches dont il est fier d'être membre.

Pire encore, notre système fiscal est très régressif, avec une forte dépendance aux impôts indirects, qui touchent principalement les couches de la population à revenus moyens et faibles, tout en accordant un traitement préférentiel aux grandes entreprises. Et l'évasion fiscale fait des ravages : Nous avons calculé par exemple qu'entre 2013 et 2018, notre fisc a perdu entre 7,5 et 7,9 points de PIB chaque année, soit 1,5 fois le budget de l'éducation et 1,6 fois le budget de la santé.

Le contrat budgétaire est donc à reconstruire, une entreprise gigantesque. Cela signifie réformer la taxe sur la valeur ajoutée, réduire considérablement les taux des produits de première nécessité, des médicaments et des livres. Payer 19 % de moins pour le lait ou le pain ferait toute la différence pour les ménages les plus pauvres.

Elle nécessite également l'instauration d'un impôt progressif sur les plus hauts patrimoines et d'un impôt sur les grandes fortunes. Moins de 0,1% de la population, les très riches, ont l'équivalent du PIB du Chili entre leurs mains. Taxer leur patrimoine à un taux de 2,5 % rapporterait quelque 5 milliards de dollars, soit 1,9 % du PIB.

Enfin, certaines exonérations qui ne bénéficient qu'aux groupes à hauts revenus, qu'il s'agisse des multinationales ou des plus riches, doivent être abrogées.

Bien sûr, on peut s'attendre à un bras de fer au Congrès, qui est à moitié contrôlé par les conservateurs. C'est pourquoi la fiscalité doit être au centre des discussions pour la nouvelle constitution, qui sera soumise à référendum au troisième trimestre 2022. Le texte actuel, approuvé en pleine dictature de Pinochet, consacre le modèle néolibéral en limitant la capacité du gouvernement à réduire les inégalités par la fiscalité.

La constitution devrait adopter le principe de progressivité fiscale, avec une définition claire : c'est-à-dire que les taux d'imposition effectifs devraient dépendre du niveau de revenu ou de richesse, les citoyens les plus riches contribuant davantage. Bien sûr, ces principes doivent ensuite être traduits en loi par le Congrès. Mais avoir ce texte dans la constitution oblige les élus à être plus transparents.

Affirmer un principe de fiscalité progressive, c'est permettre à une éventuelle majorité populaire et démocratique de refonder le pacte fiscal. Cette idée a été soulevée par Thomas Piketty, avec qui je travaille sur ces questions au sein de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), lors d'un échange récent avec un groupe d'élus de la Convention constitutionnelle, chargé de rédiger la nouvelle Constitution.

La société civile a compris l'urgence de se saisir de ce débat, avant tout politique, pour ne pas le laisser en otage par des bureaucrates techniques favorables au statu quo. Ainsi, des experts, des ONG et des syndicats viennent de créer un réseau de justice fiscale citoyenne pour le Chili afin de soumettre des propositions concrètes à la Convention constitutionnelle.

En inscrivant des principes fiscaux progressifs dans sa nouvelle constitution, le Chili peut montrer la voie à d'autres pays. Car bien qu'il s'agisse d'un pays d'à peine 19 millions d'habitants situé aux portes de l'Antarctique, il symbolise une tendance mondiale.Partout, les taux marginaux supérieurs de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et des droits de succession ont été réduits, tandis que les impôts sur le patrimoine net, autrefois relativement répandus dans les pays de l'OCDE, ont été abandonnés par la plupart. Les taux d'imposition des sociétés ont chuté de façon spectaculaire partout, les entreprises profitant d'un système fiscal international obsolète pour cacher leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.

Partout, les riches sont encore plus riches deux ans après le début de la pandémie. La richesse combinée de tous les milliardaires, estimée à 5 000 milliards de dollars fin 2019, a atteint son plus haut niveau jamais atteint, à 13 800 milliards de dollars, selon un récent rapport d'Oxfam. Le monde compte désormais un nouveau milliardaire toutes les 26 heures, tandis que 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté sur la même période.

Enfin, l'explosion des inégalités partout coïncide avec l'explosion du changement climatique. Les 10 % les plus riches de la population mondiale émettent près de 48 % des émissions mondiales, qu'ils vivent dans le Nord ou le Sud, les 1 % les plus riches en produisent à eux seuls 17 %, tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n'en produit que 12 %.

Au Chili, comme dans le reste du monde, repenser le pacte fiscal, faire cotiser davantage les plus riches, n'est plus un enjeu technique. C'est une question politique et face à l'urgence climatique, c'est un choix existentiel.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale de.

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