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Traduire des jurons : F***ing challenge !

Washington D.C. : Nous sommes le 4 janvier 2022 et une interview qu'Emmanuel Macron a accordée au quotidien Le Parisien fait des vagues. Il a décidé d'« emmerder » ceux qui ne sont pas vaccinés contre le Covid-19. Ce n'est pas exactement un mot qu'on attendrait de la bouche d'un président, mais plus précisément pour les journalistes anglophones de l'AFP, comment le traduisez-vous ?

La première histoire qui tombe sur les fils sur cette attaque frontale contre les anti-vaxxers utilise le mot «tracas». Mais cela est rapidement rejeté comme trop faible. Dans la salle de rédaction, les journalistes lancent d'autres suggestions comme "f *** les plus" ou "rendez leur vie de merde". Le bureau du rédacteur en chef s'installe finalement sur le verbe "faire chier".

C'est à peu près le même débat parmi les correspondants qui écrivent pour le fil espagnol de l'AFP. « Molestar », qui signifie déranger, est considéré comme trop faible et, surtout, ne transmet pas la grossièreté d'un mot qui découle du mot « merde ».

"Joder" pourrait être un bon choix, mais cela ne signifie pas la même chose en Espagne, où il peut être utilisé pour dire "f ***" et "hassle", et en Argentine où il n'est pas aussi fort et équivaut simplement à "s'embêter".

En fin de compte, ils décident d'utiliser "fastidiar". Cependant, ils ne sont pas complètement satisfaits de cela et ajoutent un paragraphe expliquant que Macron a utilisé le mot français "emmerder" qui peut également être traduit par "molestar", "joder", "complicar la vida".

Une vingtaine de jours plus tard à Washington, un débat animé similaire éclate dans la salle de rédaction de l'AFP après un propos particulièrement coloré du président Joe Biden. Irrité par la question d'un journaliste de Fox News, il profère "quel con de fils de pute" en marge d'une table ronde à la Maison Blanche.

Qui n'a pas entendu cette expression, immortalisée dans d'innombrables films ? Mais quel est son équivalent français ? Dans la salle de rédaction, il y a des journalistes dont la langue maternelle est l'anglais ou le français, et ils sont divisés.

Certains pensent qu'il devrait avoir une traduction aussi littérale que possible sous la forme de "fils de pute" - littéralement "fils de pute". Mais d'autres pensent que "fils de pute" est bien plus fort en français que "son of a bitch" en anglais.

Habituellement, le premier réflexe des journalistes travaillant dans différentes langues est de consulter le dictionnaire, mais cela ne fonctionne pas toujours. Souvent, la solution consiste à demander ce que cette personne aurait dit de manière réaliste dans une autre langue, dans les mêmes circonstances.

Alors, quel était exactement le contexte dans lequel Biden a prononcé ces mots fatidiques ? Peter Doocy, le correspondant de Fox News, a des joutes régulières avec des responsables de l'administration de Biden, y compris avec le président lui-même. Ce n'est pas nouveau.

Cet échange particulier n'était pas acrimonieux. Doocy a lancé sa question sur l'inflation à travers la table alors que les journalistes quittaient la salle. Biden a marmonné les mots dans sa barbe d'une manière qui ne semblait pas particulièrement virulente – bien que cela n'excuse pas l'insulte.

Il a également utilisé "stupide" et "quel" au lieu de simplement dire "fils de pute". Cela a-t-il renforcé l'affirmation ou l'a-t-il atténuée ? Au final, l'AFP tranche sur "l'espèce de connard".

Ces débats montrent à quel point il est difficile de trouver la bonne traduction des jurons, insultes et autres expressions à couper le souffle qui reflète exactement la grossièreté et le niveau d'animosité exprimés par la personne qui les a prononcés.

Et les translittérations sont également un problème. Rita Daou, responsable des services arabophones de l'AFP, se souvient du mal de tête causé par le patronyme de l'ancien Premier ministre français Jean-Marc Ayrault, lors de son arrivée au pouvoir en 2012. Le problème ? En français, le "l" et le "t" d'Ayrault sont muets, mais cela signifie littéralement "sa bite" en arabe.

De nombreux débats s'en sont suivis mais l'AFP a décidé de l'écrire tel qu'il se prononce en français, malgré le double sens douteux qui a fait grincer des dents plus d'un présentateur arabe.

Cette décision n'a pas duré longtemps. Un peu gêné, le ministère français des Affaires étrangères a rapidement publié une déclaration disant qu'en arabe, le nom de famille du Premier ministre devait être écrit et prononcé en utilisant le "l" et le "t".

Toute discussion sur les défis de la traduction ne serait pas complète sans les fameuses tirades de Donald Trump. Il faut dire que les journalistes perplexes sur l'insulte de Biden en janvier à Washington avaient une longue expérience.

Quelqu'un a-t-il oublié la tristement célèbre vidéo déterrée en 2016 où Donald Trump se vantait de pouvoir tripoter les femmes en toute impunité, y compris de « les attraper par la chatte » ?

La phrase était si misogyne et grossière que l'AFP en français a initialement décidé de ne pas l'utiliser et a simplement décrit Trump comme prononçant "un mot très cru pour le sexe féminin" (un mot très grossier utilisé pour décrire les organes génitaux féminins).

Mais dans une mise à jour sur l'histoire, l'expression a été traduite littéralement en français. Et ça ne s'est pas arrêté là, loin de là. "Crooked Hillary", "Crazy Bernie", "Sleazebag", "Slimeball", "Horseface"... Il y a eu beaucoup de prise de tête au fil des années.

Traduire des jurons : F***ing challenge !